Google devrait-il être forcé de payer une redevance aux organes de presse dont il indexe les articles par son service Google Actualités ? Si la question peut sembler absurde pour les internautes habitués à la gratuité des contenus, elle est au pourtant au centre de débats publics en Europe, notamment en France , en Allemagne et en Irlande.
On comprend facilement l’enjeu : alors qu’on apprenait récemment que les revenus publicitaires de Google ont dépassé ceux de l’ensemble des médias imprimés américains, ces derniers traversent une crise causée entre autres par la difficulté de tirer des revenus de leurs publications en ligne (et la situation ne semble pas plus rose sur le Vieux continent). Pourtant, le problème est relativement simple : pas de production de contenu, pas de service à offrir pour Google.
Expliquons d’abord de quoi il s’agit. Google Actualités est essentiellement un service d’agrégation qui permet à l’utilisateur de suivre les publications d’un grand nombre de médias électroniques par l’entremise d’une même page Web. Selon les préférences exprimées par l’utilisateur, son emplacement géographique ou des mots-clés de recherche, Google Actualités affiche le titre et les premières lignes (l’accroche) d’une sélection d’article trouvés sur les sites des médias. Si l’utilisateur souhaite lire l’article en entier, il n’a qu’à cliquer sur le titre de l’article qui, sous forme d’hyperlien, lui permet d’accéder à l’article en question sur le site web officiel de l’organe de presse.
Les organes de presse fondent leurs revendications sur la propriété intellectuelle sur les contenus. En effet, les articles sont le fruit du travail des entreprises médiatiques et de leurs employés, travail dont Google bénéficie gratuitement en offrant à ses utilisateurs un service basé sur ces contenus. En Belgique, un groupe de presse a déjà obtenu contre Google un jugement déclarant que l’utilisation des titres et accroches des articles de journaux constituait une violation de ses droits d’auteur. En France, les éditeurs demandent l’intervention du législateur afin de créer un « droit voisin », c’est-à-dire un droit connexe qui constitue une prolongation de leurs droits d’auteur, et ce dans le but de pouvoir contraindre Google au paiement de redevances.
Qu’en est-il au Canada ?
À notre connaissance, la controverse autour du référencement des contenus provenant d’organes de presse n’a pas encore atteint nos côtes. On peut toutefois se demander si les éditeurs pourraient revendiquer la protection du droit d’auteur à l’égard des titres et accroches d’articles de journaux.
Au Canada, la reproduction d’œuvres (telles que les articles de journaux) est notamment régie par l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur :
3. (1) Le droit d’auteur sur l’oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’oeuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante […]
Il ne fait aucun doute que Google procède à une reproduction partielle des articles qu’il inclut dans son service Google Actualités. La question est toutefois de savoir si la partie reproduite constitue « une partie importante » de l’œuvre d’origine. Cette notion de partie importante a fait l’objet de plusieurs développements jurisprudentiels, mais elle nous paraît bien cernée par la Cour fédérale dans un jugement de 1996 :
L’expression « partie importante » n’est pas définie dans la Loi sur le droit d’auteur . La jurisprudence a décidé que la qualité, davantage que la simple quantité, est l’élément clef de la reproduction : dans U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.), aux pages 268 et 269, le juge Richard a dit que la reproduction d’une partie importante est une question de fait à l’égard de laquelle la Cour examine si le contrefacteur présumé s’est approprié les traits distincts de l’œuvre originale.
Suivant cette exigence d’appropriation des traits distincts de l’œuvre originale, il est fort possible que l’utilisation faite par Google Actualités constitue une violation des droits d’auteur, dans la mesure où le titre et l’accroche présentent de tels traits distincts. Il reste à voir si et quand les tribunaux canadiens seront appelés à se pencher sur la question…
Une question de rapport de force…
La question de la délimitation des droits d’auteur est intéressante, mais elle cache surtout celle du rapport de force économique entre Google et les éditeurs. Aussi, ces derniers ne cherchent pas ultimement à interdire l’utilisation de leurs articles. Au contraire, ils ont autant besoin de Google, pour attirer des visiteurs, que Google a besoin d’eux pour peupler son site. C’est pourquoi la solution alternative envisagée par Google, soit d’arrêter purement et simplement de référencer les médias français, ne leur convient pas plus. En fait, le poids de Google dans ce marché est si important que le porte-parole d’un syndicat français de professionnels de la presse va jusqu’à parler d’une « mission d’intérêt général de référencement » (alors que Google étant en principe une entreprise purement privée).
L’évolution de cette problématique pourrait avoir un impact important sur la façon dont on conçoit les moteurs de recherche et autres outils d’indexation. En effet, l’un des enseignements du jugement belge est de confirmer que la protection du droit d’auteur impose un mode opt-in (obtenir l’autorisation du titulaire des droits préalablement à l’utilisation) plutôt que le mode opt-out actuellement privilégié par Google (permettre aux titulaires de droits de lui signaler leur opposition et de demander le retrait de contenus). Or, le raisonnement à l’égard des articles de presse vaut également à l’égard de tout autre type de contenu susceptible d’être visé par un droit d’auteur : du simple billet de blogue à l’encyclopédie en ligne. Peut-on imaginer que Google obtienne l’autorisation expresse de l’ensemble des titulaires de droits sur le contenu indexé ? Comment organiser une éventuelle répartition de redevances entre un nombre virtuellement infini de titulaires de droits ?
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