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Les REDSKINS voient leur nom de marque révoqué. Nos ESKIMOS devraient-ils s’inquiéter ?

Étudiante dans le cadre du cours DRT6929O.
16 mars 2015
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En juin 2014 et après une bataille juridique qui a débuté dans les années 90, l’USPTO, l’office américain de la propriété intellectuelle, a annulé six déclinaisons de la marque REDSKINS, dont l’équipe de football est propriétaire, jugée dégradante à l’égard des natifs (américains-indiens) et a considéré que le nom et le logo de l’équipe sont en violation du Laham Act. Par conséquent, l’équipe pourrait continuer d’utiliser le même nom, cependant aucune protection commerciale ne lui sera dorénavant accordée. En conséquence de quoi, n’importe qui peut utiliser l’image de la marque pour commercialiser des produits sous le même nom sans payer des royalties à l’équipe et sans pour autant être en violation de la loi.

Suite à la décision de l’USPTO, l’équipe de football américain a décidé de faire appel auprès de  la cour de justice du Eastern District of Virginia pour essayer de renverser la décision et de jouir de la protection commerciale. La décision de cet appel a été basé principalement sur deux arguments: d’un coté, le fait qu’il n’y a pas eu assez d’éléments prouvant qu’un nombre considérable de natifs ont été offensés par le nom de marque REDSKINS lors de son enregistrement entre 1967 et 1990, et de l’autre, que le Lanham Act est constitutionnellement vague est porte atteinte au premier amendement.

En effet, le Lanham Act, voté en 1946, est la loi fédérale américaine relative au droit des marques. Il stipule qu’une marque de commerce peut être refusée ou annulée si elle est désobligeante ( disparaging , tel que cité dans la section 2a du Lanham Act ci-dessous) à l’égard de personnes, d’institutions ou des symboles nationaux.

No trademark by which the goods of the applicant may be distinguished from the goods of others shall be refused registration on the principal register on account of its nature unless it–

(a)Consists of or comprises immoral, deceptive, or scandalous matter; or matter which may disparage or falsely suggest a connection with persons, living or dead, institutions, beliefs, or national symbols, or bring them into contempt, or disrepute […] 

Le mois dernier, le département de justice a déclaré qu’il va défendre l’aspect constitutionnel du Lanham Act, une déclaration applaudie par les activistes qui ont été soulagés par  l’appui du gouvernement américain. La date de procès a été fixée à juin prochain.

L’affaire est entrain de prendre des dimensions politiques considérables, plusieurs sénateurs ont appelé pour le changement de nom de l’équipe, y compris le président américain qui a affirmé que s’il était propriétaire de l’équipe il aurait opté pour un changement de nom.

Dans le même ordre d’esprit, en France, la cour d’appel de Versailles a rendu une décision en 2011 pour invalider l’utilisation du slogan « y’a bon » jugeant que celui-ci portait des stéréotypes racistes et a ordonné  la société Nutrial, qui commercialise ses produits  sous ce slogan, de cesser de l’utiliser « sous quelque forme et quel que soit le moyen, la fabrication et la commercialisation de toute illustration sur laquelle apparaitrait ce slogan ». De plus, elle a été condamnée à verser une somme de 20 000 euros par jour par infraction constatée.

En ce qui est trait à la loi canadienne sur les marques de commerce, l’article qui se rapproche le plus de l’article 2 du Lanham Act est l’article 9 (1)(j) stipulant dans sa version anglaise :

 9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

(j) any scandalous, obscene or immoral word or device.

Les questions qui se posent sont les suivantes: En suivant le même raisonnement, est-ce que l’équipe canadienne de football ESKIMOS de Edmonton devrait s’inquiéter sur le sort de sa marque de commerce? Est-ce que la loi canadienne trancherait pour l’annulation de l’enregistrement de cette marque si jamais un procès relevant de l’utilisation de ce nom venait à voir le jour ?

En effet, au Canada, et du coté de la jurisprudence, nous n’avons pas eu de cas semblables, à priori, traitant de l’aspect désobligeant ou dégradant des marques de commerce. Aucune décision répertoriée n’a évoqué l’alinéa 9(1)(j) pour affirmer qu’une marque de commerce est « désobligeante » dans la mesure où son utilisation serait troublante pour les membres d’un groupe ethnique. Au regard de l’interprétation de la loi, en l’occurrence l’alinéa 9 (1) cité précédemment, il faudrait déterminer si l’appellation ESKIMOS est scandaleuse, obscène ou immoral. Une fois de plus, tout est une question de subjectivité.

Dans l’affaire de la marque MISS NUDE UNIVERSE, le mot nude n’a pas été qualifié d’immoral ou scandaleux par le juge. Quant au mot eskimo désignant la population autochtone de l’Arctique, l’encyclopédie Universalis mentionne que depuis les années 1970 certains groupes rejettent l’appellation eskimo estimée péjorative et qu’au Canada, ces derniers préfèrent se désigner eux-mêmes par le terme inuit. Encore faudrait-il prouver que l’utilisation de ce mot par l’équipe canadienne est offensante pour les peuples ou les descendants inuit afin d’obtenir l’éventuelle annulation du nom de la marque. Par ailleurs, il faut noter que contrairement au logo des REDSKINS représentant le portrait d’un natif, celui de l’équipe d’Edmonton n’a aucune connotation ethnique (une simple calligraphie de double E).

Si les REDSKINS perdaient le procès cela pourrait avoir des incidences majeurs au Canada : d’une part accentuer la polémique autour des ESKIMOS qui, jusqu’à présent, se limite à des commentaires sur les réseaux sociaux – mais pourrait peut-être mener à un procès les visant. Et d’autre part, étant donné que la marque américaine est également enregistrée au Canada depuis 1980, cela pourrait inciter des activistes à exiger son annulation sur le sol canadien ce qui pourrait faciliter l’annulation de la marque edmontonienne. Il serait donc pertinent de suivre le déroulement du procès des REDSKINS chez nos voisins !!

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