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L’admissibilité de la preuve tirée de Google Street View

10 février 2017
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Dans la décision récente Granger c. Montcalm (Municipalité de), 2016 QCCS 6008 (CanLII) le juge Guy Cournoyer admet dans les premiers paragraphes de son jugement que l’utilisation de moyens technologiques pour établir des faits est soumise à une jurisprudence inconstante et que cette situation doit être clarifiée. En l’espèce, l’appelant a été déclaré coupable d’avoir circulé à une vitesse de 94 km/h alors que la limite, selon le policier ayant émis l’infraction, était de 50 km/h. Pour l’appelant il n’y avait pas de panneau de signalisation affichant la limite sur les lieux de l’infraction. Le juge des faits a pris connaissance d’office de l’outil de navigation Google Street View alors que l’appelant n’a pu présenter une contre-preuve de l’authenticité des images visionnées. Cette décision unilatérale du juge de prendre connaissance des images est contraire à « plusieurs principes du système contradictoire qui s’opposent à la décision du juge d’instance d’examiner le lieu de l’infraction après la clôture de la preuve du défendeur ».

Pour le juge d’appel, l’utilisation de Google Street View doit satisfaire les mêmes critères d’admissibilité que tout autre procédé technologique, puisqu’il s’agit d’une preuve matérielle (article 2854 C.c.Q.). Le juge affirme subséquemment que « le visionnement à l’aide de Google Street View ou d’une image tirée de cet outil n’est admissible que s’il est établi qu’il s’agit d’une description fidèle et exacte de la scène d’un crime (ou d’une infraction) au moment de la commission de l’infraction, qu’il n’y a pas eu de retouches ou de modifications et qu’un témoin peut attester de ces faits sous serment ». L’Association canadienne du droit des technologies de l’information soulignait dans un article récent sur la décision Granger qu’une difficulté importante inhérente à la nature de Google Street View est qu’en pratique, le contre-interrogatoire se révèle impossible.

Les lieux changent pratiquement chaque jour, alors que de manière générale, la navigation artificielle de Google Street View priorise l’obtention d’images reflétant des endroits qui n’ont pas encore été visités par une voiture Google. La mise à jour des panoramas à 360 degrés est donc sporadique. Le juge en appel se base également sur l’affaire U.S. v. Lizarraga-Tirado relativement à l’admissibilité en preuve de données de géolocalisation pour réaffirmer que « l’authentification d’une preuve tirée de Google Street View s’avère nécessaire ».

Le juge Cournoyer est donc d’avis que la « nouvelle preuve que constituait le visionnement à l’aide de Google Streer View » a permis au poursuivant de scinder sa preuve ce qui a porté atteinte à l’intégrité du procès. Au surplus « l’appelant pouvait légitimement réclamer la communication de cette preuve pour tenter de contredire le témoignage du policier au sujet de l’emplacement de la signalisation. Il existe une possibilité raisonnable que la non-divulgation ait compromis l’équité globale du procès en raison de l’utilité potentielle du registre pour le droit à une défense pleine et entière ». Une nouvelle instruction de l’affaire est donc requise.

Afin de clarifier l’état de la jurisprudence, le juge commente certains aspects de l’admissibilité en preuve de ces outils de navigation et expose que Google Street View ou la navigation de Mapquest « […] comporte les propriétés et caractéristiques d’une photographie, celle d’une vidéo ou de la visite des lieux. Le visionnement à l’aide de Google Street View constitue l’équivalent moderne d’une visite des lieux ». La connaissance d’office ne permet pas aux juges de prendre connaissance d’une technologie de navigation virtuelle pour déterminer de l’existence d’une signalisation routière.

L’examen des lieux à l’aide d’un outil de navigation virtuelle ou la production d’images grâce à un outil utilisant cette technologie demeure possible même s’il s’agit d’une question substantielle au procès. Cette preuve doit « faire l’objet d’une authentification selon les exigences formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Nikolovski ». Il est intéressant de souligner que dans R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197 rendue par le juge en chef Lamer, la bande est un élément matériel et « dans une certaine mesure, une preuve testimoniale » importante dans la recherche de vérité.

Ainsi, lorsque la poursuite désire utiliser un outil de navigation virtuelle en preuve, celle-ci doit communiquer préalablement à l’autre partie les images qui seront utilisées de l’outil de navigation et « [u]ne initiative spontanée, séance tenante, n’est pas compatible avec le devoir de la poursuivante de communiquer la preuve avant la tenue du procès ».

Lorsque les images « décrivent bien la scène, qu’elles n’ont pas été retouchées ni modifiées et qu’un témoin puisse attester en cour de ces faits sous serment » la preuve est admissible. Le chargé de cours en droit pénal de l’Université de Montréal Nicolas Bellemare soulignait pour la Presse canadienne qu’à « la fois la Couronne et la défense peuvent s’en servir » lorsque les conditions d’admissibilité sont remplies.

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